" On savait les postiers délicats. Entre chatons câlins à la pelote de laine et jolis paysages alpestres, leurs calendriers gentiment proposés chaque année nous rappellent que le facteur est un interlocuteur quotidien dont nous aurions du mal à nous passer. Dans le style des histoires illustrées de Pierre Probst, où le facteur (uniforme et casquette) déambule à bicyclette de foyer en foyer et distribue lettres, mandats et colis : quel beau métier !
Certes, la tenue de nos facteurs contemporains n’a plus grand-chose à voir avec celle d’autrefois. Et leur sourire est de plus en plus rare ; il faut les comprendre : de moins en moins de courrier – merci l’informatique ! —, des colis distribués par des concurrents privés plus rapides et moins chers – merci Bruxelles ! —, des recommandés qu’on va systématiquement chercher au guichet – merci la sonnette toujours en panne ! Bref, nos facteurs ont le moral en berne, et n’étaient la petite grève trimestrielle et la grosse grève annuelle, on en viendrait presque à les oublier…
Pour se changer les idées, ils inventent des trucs auxquels personne n’avait pensé avant eux. Dans le VIIe arrondissement de Paris, nos truculents syndicalistes et cégétistes chevronnés s’insurgent contre la distribution de tracts du Front national dans le cadre des élections municipales. Quand ils ne refusent pas la distribution, ils retirent le tract du lot de publicité inséré dans les boîtes au format réglementaire. Ces gens sont décidément délicats !
Nos amis postiers invoquent des arguments irréfutables : jugez-en ! Pour SUD, « ordonner aux facteurs de distribuer ces tracts place La Poste dans l’illégalité quant au devoir de réserve et de neutralité du service public ». Pour son camarade de la CGT, « que La Poste distribue ainsi de la propagande politique pose un réel souci. Notre règlement intérieur stipule que nous n’avons pas le droit de faire de la propagande. » Comme disait la mère Denis, c’est ben vrai, ça ! Nos syndicats sont tellement légalistes qu’ils en oublieraient presque, si on les laissait faire, de bloquer le pays à chaque « mouvement social », de refuser aux entreprises un courrier souvent vital pour elles, de bloquer des millions de chèques en souffrance entre deux machines à tri sabotées ; ils en oublieraient presque de défiler dans les rues pour protester contre la politique du gouvernement, de s’opposer aux réformes de toute nature, de déléguer des militants à la Fête de l’Huma, au NPA du facteur Besancenot, au moribond PS et au défunt PCF.
En revanche, ces zélés défenseurs de la démocratie municipale ne voient aucun inconvénient à distribuer la propagande des partis « républicains » : ceux, par exemple, qui sont favorables à une libéralisation totale du marché, à la suppression des avantages exorbitants des agents des PTT et assimilés, ou qui souhaitent privatiser purement et simplement La Poste. Toutes opinions parfaitement respectables que tout un chacun pourrait exprimer calmement dans une manif du 1er mai…
Autrefois, les facteurs craignaient les morsures de chien. De nos jours, ils craignent le regard des autochtones de la rive gauche. Quand on vous dit que le métier se perd ! "
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