" Ce mardi 18 février, deux événements d’importance retiennent notre attention, même si, apparemment, il n’existe aucun lien entre eux… Et pourtant ?
Le président de la République s’est rendu à la Grande Mosquée de Paris afin d’honorer les 80.000 soldats musulmans morts lors des deux guerres mondiales et, s’adressant directement à leurs descendants, il a souligné que « la France avait une dette à leur égard et qu’ils devraient être fiers de leurs parents ».
« La France n’oubliera jamais le prix du sang versé », a-t-il conclu en inaugurant un monument en mémoire de ces soldats musulmans dans l’enceinte même de la Grande Mosquée.
Alors, je me pose la question… et je la pose surtout au président de la République, et à M. Dalil Boubakeur, recteur de cette Grande Mosquée et président du Conseil français du culte musulman : Il ne me semble pas qu’on ait fait allusion, lors de cette cérémonie – et pourtant ils sont bien plus présents à nos mémoires que ceux qui sont tombés en 1914-18 ou 1939-45 –, à ces soldats musulmans morts pour la France au cours de la guerre d’Algérie, de 1954 à 1962 et aux plus de 60.000 harkis et supplétifs que la France a livrés, désarmés, après le 19 mars 1962, à la vengeance sanguinaire du FLN et de l’ALN. Ont-ils également leur place sur ce monument ? Est-ce que la France n’a pas une dette à leur égard ? Est-ce que leurs descendants peuvent être fiers de leurs parents ?
L’autre événement concerne celui des 1.600 enfants réunionnais que le député Michel Debré, ex-Premier ministre de De Gaulle, a fait « transférer » en métropole à partir de 1963, avec la caution de l’État et la bénédiction du ministre de la Santé de l’époque, Raymond Marcellin, sous le prétexte de repeupler les départements vieillissants de la Creuse, du Tarn et du Cantal. Il s’agissait, selon Michel Debré, d’intégrer ces enfants à la République en leur offrant une seconde chance.
De nouveau, je pose la question : n’aurait-il pas été plus judicieux, afin de repeupler ces trois départements, et même quelques autres, de permettre le rapatriement de ces quelque 60.000 harkis et supplétifs ainsi que leurs familles, plutôt que de les laisser se faire massacrer en Algérie ? Il est vrai qu’en 1962, le terme « rapatriés » ne s’appliquait pas aux musulmans qui s’étaient battus pour la France.
Ces harkis musulmans n’étaient alors qu’un « magma qui ne servait à rien et dont il fallait se débarrasser sans délai » (propos qu’aurait tenus de Gaulle en Conseil des ministres le 3 avril 1962, cités par Georges-Marc Benamou dans son livre Un mensonge français).
N’aurait-on pas pu leur offrir, à eux aussi, une seconde chance : celle de vivre ? « Personne ne s’est attaché à faire rentrer dans l’histoire de France cet épisode grave et brutal. Il faut arrêter de cacher une partie de notre mémoire », a déclaré la députée réunionnaise Ericka Bareigts. N’en est-il pas de même pour le massacre de plus de 60.000 harkis et supplétifs musulmans ? Qui a certainement été plus grave et plus brutal. Et ne s’agit-il pas, comme l’indique le sociologue Philippe Vitale, d’un manque d’intérêt pour ce « détail » de l’histoire de la colonisation ? "