" Lorsqu'un patron de PME est contraint d'envisager un programme de réduction des coûts de son entreprise, il doit se situer dans un espace-temps cohérent. Autrement dit, tirer les leçons du passé, gérer efficacement le présent, planifier correctement l'avenir.
Dans le cas de l’État, le pouvoir est – pour ce qui concerne la situation présente - dans une posture délicate : le ministre du budget Cazeneuve a confirmé la notion assez floue de pause fiscale alors que les recettes de l’État ne sont pas totalement conformes aux prévisions du fait de la situation conjoncturelle qui atteint principalement les rendements de la TVA et de l'impôt sur les sociétés. Il a indiqué vouloir être " le ministre des économies " et non le " ministre des impôts ". Typiquement le genre de nuances qui crédibilise un discours radiophonique mais qui n'apporte pas de garantie de bonne fin.
Pour l'instant, aucune économie tangible n'est décelable et n'a été effectuée dans la perspective des 12 milliards d'économies annuelles annoncés (et qui devraient plutôt être 25 milliards par an). Au 30 Juin 2013, le déficit de l’État s'est ainsi dégradé de 2,6 milliards et frôlait, en cumulé, les 60 milliards d'euros (59,3 contre 56,7 à fin Juin 2012 ). Tels sont les chiffres qu'un chef d'entreprise verrait sur son tableau de bord. Mais l’État est pris d'une dangereuse ingéniosité comptable qui nuit à l'image fidèle, concept central de la comptabilité. Ainsi, par conventions comptables, il n'est pas inclus dans le déficit à fin Juin 2013 des éléments de nature exceptionnelle tels que l'augmentation de capital de la Banque européenne d'investissement ( pour 1,6 milliard ) et l'abondement du MES pour 3,3 milliards (mécanisme européen de stabilité). Dès lors, Bercy a cru bon d'annoncer début Août "que le déficit à fin Juin 2013 s'améliore de près de 5 milliards par rapport à fin Juin 2012". Ce qui représenterait la moitié des fameux 10 milliards d'économies visées par le discours récent du Premier ministre et qualifié de "jamais vu" ( entretien Jean-Marc Ayrault sur France 2). Or, cette analyse de la gestion présente semble erronée non pas par une intention de caractère maléfique ou politicienne mais par une sédimentation de données qui ne vont pas toutes tomber du côté favorable. Suite au verbe présidentiel du 14 juillet, ("La reprise est là") et à une étude fort optimiste de l'OCDE, bien des esprits pensent un peu rapidement que la crise s'éloigne alors que nos impasses budgétaires sont encore là. Prenons l'exemple du chômage, en-dessous de 1,5 à 2% de croissance annuelle du PIB, notre économie demeure lourdement destructrice d'emplois : entre 150.000 à 250.000 emplois selon certaines simulations récentes. Or, sur les quelques 75.000 personnes qui sortent chaque mois du système d'indemnisation du chômage, combien vont gonfler les rangs des allocataires du RSA ? Ce drame humain quotidien a un coût : c'est une mine dérivante que l’État est en train de sous-estimer. Pour rester dans le présent, si l’État n'a pas réussi à économiser au 30 Juin 2013, comment pourrait-il présenter un solde d'exécution budgétaire favorablement surprenant lors des vœux présidentiels de fin 2013 ? En clair, comment réduire les dépenses de 12 milliards en moins de 6 mois ? On voit bien que les instruments de pilotage budgétaire sont nourris d'optimisme voire de candeur pour certains élus.
La gestion efficace du présent n'étant pas garantie, le scepticisme marque au fer rouge le discours du ministre Cazeneuve qui prévoit 14 milliards d'économies sur les dépenses de l’État en 2014. D'abord, ses moyens sont adaptés mais incertains en rendement "en euros sonnants et trébuchants". Le ministre suggère de diminuer de 2% les dépenses de fonctionnement ce qui est un peu "vintage" et éternellement proclamé. Dans ses entretiens (diffusés de manière posthume) avec Jean-Pierre Elkabbach, feu le Président François Mitterrand a déclaré qu'il avait si souvent entendu des projets de réduction des dépenses de l'Etat "qui finissent par la hausse de l'alcool et du tabac". Les 2% sont presqu'une insulte à la logique intellectuelle à l'heure où bien des Françaises et des Français sont obligés de composer avec une baisse de plus de 2% de leur pouvoir d'achat.
Par ailleurs, le ministre du Budget table sur une maîtrise du budget de différents opérateurs qui gravitent autour de l’État (Ademe, etc.). Pourquoi ne va-t-il pas, de manière un peu churchillienne, expliquer à la Nation que la fiscalité affectée a généré 112 milliards de taxes en 2012 et 121 milliards en 2013 ? Pourquoi ne fait-il pas référence explicite au rapport technique et imparable du Conseil des prélèvements obligatoires (publié le 4 juillet dernier sur le site de la Cour des comptes) qui recommande, d'urgence, de rebudgétiser 20 milliards de taxes et de les soumettre au contrôle de la procédure parlementaire. Gardons collectivement en mémoire que le total des 309 ( trois cent neuf ) taxes affectées à plus de 453 entités ont connu une hausse de 4,5% par an à comparer au 1,2% par an du budget général de l'Etat stricto sensu. Autrement dit, une hausse triple... Puis, dernière piste annoncée lors d'un entretien sur Europe 1, le ministre envisage une réduction additionnelle de 1,5 milliard d'euros de la dotation aux collectivités territoriales. Incontestablement, il y a habileté. Si les collectivités locales – notamment les mairies – ne s'en sortent pas (cas du financement plus complexe que prévu des activités périscolaires liées à la réforme Peillon), elles pourront augmenter la pression fiscale locale puisque la période électorale de 2014 sera passée.
Les 14 milliards de Monsieur Cazeneuve existeront peut-être mais ils seront compensés par un alourdissement d'autres ponctions fiscales venant d'autres entités publiques ou par des hausses de recettes dont on voit bien qu'elles sont plus ou moins à l'ordre du jour : niche fiscale concernant les frais de scolarité. Pierre Lalumière, éminent professeur de finances publiques aimait à répéter : "Mesdames et Messieurs, n'oubliez jamais que s'il y a plusieurs sources de passif public, il n'y a qu'un seul type de contribuable". Effectivement, que l'impôt soit national ou local, direct ou indirect, il demeure un prélèvement sur la même population.
Le 13 Février 1937, le président du Conseil Léon Blum déclarait : "Nous n'avons aucun motif pour abjurer les idées auxquelles l'expérience a jusqu'à présent donné raison puisque le dégel est maintenant un fait acquis, puisque les signes de la reprise deviennent de plus en plus évidents et de plus en plus sensibles." Évocation troublante, n'est-ce pas ? Vint alors la fameuse notion de "pause" dans les réformes du Front populaire. Très clairement, la notion de pause fiscale 2014 laisse songeur car normalement une pause est un état transitoire avant que l'on ne reparte – dans le cas présent – vers davantage de pression fiscale. Cette perspective sera-t-elle celle de notre pays, là où l'organisation de l'Etat est parfois complexe et discutable. Un service bien organisé est certainement une notion plus importante que bien des sujets que les politiques aiment aborder.
Pour traiter de l'avenir, Bernard Cazeneuve semble éluder trois variables non négligeables, loin s'en faut.
Tout d'abord, le chiffre habituel annoncé de la dette publique est de 1.859 milliards d'euros, soit un peu plus de 90% du PIB annuel. Toutes les études convergent pour indiquer qu'il sera supérieur d'ici à 2015. Donc, il faudra tôt ou tard financer.
De même, l’État est très discret sur les 3.090 milliards de passif net hors-bilan (provisions légitimes des pensions des fonctionnaires, garanties d'emprunts pour l'UNEDIC, pour DEXIA, etc.). Sans avoir l'opportunité de prendre une calculette, le lecteur peut visualiser l'effort annoncé de 14 milliards d'économies rapportés à un total de dettes de : 1.859 + 3.090.
Enfin, il reste la singularité française du poids de la dépense publique. La Suède, qui n'est pas un pays sous-administré ou mal doté en prestations sociales voit 51% de son PIB consacré à la dépense publique. Nous en sommes à plus de 56,6% du PIB soit 1.270 milliards (dont 20,5% du PIB pour l’État, 25% pour les dépenses de Sécurité sociale et 11,5% pour les collectivités territoriales). Si nous étions au niveau suédois, cela voudrait dire que nous aurions réussi à réduire la dépense publique de 5,5 points d'où un effort de plus de 60 milliards.
Nous ne pouvons que souhaiter, par civisme et par intérêt collectif, que le ministre réussisse en 2014 à obtenir une baisse de "la mesure de l'impulsion budgétaire". La mesure de l'impulsion budgétaire est définie comme la somme de l'effort structurel de tenue des dépenses publiques (qui reprend les effets de maîtrise des dépenses hors charges d'intérêts et hors prestations chômage, et les prélèvements obligatoires) et des variations conjoncturelles des recettes fiscales rapportées au PIB. C'est ce type d'indicateurs qui est régulièrement transmis aux Autorités européennes.
Sauf qu'un paramètre essentiel doit être intégré : il est tout à fait probable que la BCE (comme la FED qui l'a déjà annoncé) soit mécaniquement contrainte de limiter sa politique monétaire accommodante ce qui ira de pair avec le relèvement mondial du niveau des taux d'intérêt. Concrètement, la France verra alors son premier poste budgétaire (les intérêts de la dette) s'alourdir d'où un impact fiscal à prévoir. A regret mais d'évidence. "
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