" Pour l'avocat Nicolas Gardères, la restriction de la liberté des «salauds» tend à restreindre la liberté en tant que telle, c’est-à-dire celle de tous.
Il ne saurait y avoir de démocratie sans liberté de critique. Pour les artistes, les intellectuels et – je plaide pour ma paroisse mal-aimée – les avocats, cette critique est plus qu’un droit, elle est un devoir. Se satisfaire du monde tel qu’il est, conforter une société aussi inégalitaire par le poids de son verbe ou de sa création, n’est rien de moins qu’une trahison, une subversion de son rôle social.
Un artiste ou un intellectuel content est dans le meilleur des cas inutile. Traiter Dieudonné comme s’il n’était plus un artiste, mais strictement un homme politique, c’est nier le rôle singulier de ceux qui ont fait profession exclusive de leur intelligence conceptuelle ou de leur talent artistique.
Si Dieudonné était un homme politique, je serais son premier contempteur. Ma conception du monde est radicalement différente de la sienne, et je crois plus en la complexité des phénomènes sociaux qu’en la désignation paresseuse de complots et de coupables uniques.
Mais là n’est pas le sujet, et Dieudonné est d’abord et avant tout un saltimbanque, un méchant bouffon dont les provocations et les outrances remplissent un rôle de critique sociale. Une critique sociale à l’échelle de ce qu’elle doit être chez un saltimbanque : un rire et pourquoi pas une catharsis.
Ce qui me semble inquiétant dans le consensus politique et intellectuel anti-Dieudonné, c’est la négation totale de cette dimension et la fraternisation contre-nature du pouvoir et des intellectuels pour tracer un cercle sans cesse plus étroit autour de l’humour, de l’expression et finalement de la pensée.
On aurait tort de réduire cette question au cas Dieudonné et à son antisémitisme réel ou supposé. La restriction de la liberté des «salauds», ici Dieudonné, il y a quelques mois celle de mon client Serge Ayoub dont l’association a été dissoute par le ministre de l’Intérieur, ne saurait être pensée isolément. En effet, restreindre leur liberté tend à restreindre la liberté en tant que telle, c’est-à-dire celle de tous. Je m’interroge sincèrement, à cet égard, sur la possibilité qu’auront encore dans quelques années les méchants athées de Riposte laïque et les gentils athées de Charlie Hebdo, de blasphémer sans tomber systématiquement sous le coup de la loi pénale.
Je ne comprends d’ailleurs pas, en tant qu’homme de gauche, que personne dans mon camp, dont l’un des piliers idéologiques doit être la défense acharnée des libertés civiles et politiques, ne s’inquiète réellement de cette problématique.
L’unanimisme dans la mise à l’index d’un artiste me paraît symptomatique d’une régression démocratique, structurée par une dichotomie entre le dicible et l’indicible et au sein de laquelle ce dernier gonfle et se judiciarise.
Par Nicolas Gardères, avocat au barreau de Paris et docteur en droit public "
Pour cet avocat, c'est bien une dictature qui se met en place !
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